de l’évolution du groupe de travail

Plusieurs modèles de l’évolution des groupes de travail ont été formulés en Occident depuis le milieu du siècle dernier.

Les premiers modèles étaient séquentiels, les étapes s’y enchainent de manière linéaire et progressive.

L’observation de retours en arrière dans l’évolution de certains groupes a conduit à la formulation de modèles cycliques, où les étapes se répètent.

Ensuite, des modèles non séquentiels ont été élaborés pour rendre compte que certains groupes de travail n’évoluent pas selon une séquence prévisible, ni linéaire, ni cyclique. Dans ces modèles on met plutôt l’accent sur les facteurs contextuels influençant l’évolution du groupe comme les pressions issues des contraintes temporelles (échéances, moment et durée des rencontres, etc.) ou de la structuration du groupe en fonction de facteurs contextuels (contraintes technologiques ou organisationnelles, ou de la diversité interne, etc.).

des modèles séquentiels

Les modèles séquentiels présentent l’évolution des groupes comme une progression continuelle vers un meilleur fonctionnement. Les groupes se développent de leur naissance jusqu’à leur maturité et leur dissolution. Les groupes matures feraient preuve d’une plus grande productivité, d’une meilleure conscience d’eux-mêmes, de moins d’émotivité et d’une orientation vers les buts à atteindre. Leur identité serait plus définie et ils feraient preuve d’une grande ouverture aux changements. Bien sûr, selon cette vision l’évolution prend du temps, mais le temps ne garantit pas cette évolution.

Ils ont été formulés à partir d’observations du développement de groupes clos formant une entité autonome séparée de son environnement et avec une durée de vie fixe et prévisible, généralement des groupes de thérapie. 

des modèles séquentiels progressifs et leurs phases

Les modèles séquentiels progressifs (aussi appelés modèles linéaires progressifs) identifient de trois à neuf phases de développement. Ces phases s’enchainent de manière linéaire et conduisent le groupe de travail vers une plus grande maturité.

Trois de ces phases sont communes à la plupart des modèles séquentiels progressifs. 

La première des grandes phases communes aux différents modèles est la phase de formation du groupe et inclusion des membres. Elle se déroule durant les premières rencontres. Elle conduit à l’émergence de l’entité groupe et à l’apparition des premiers signes d’appartenance au groupe. Lors de cette première phase de formation du groupe, les membres se rencontrent et prennent contact. Ils, elles sont en mode d’observation et d’évaluation du groupe dans son ensemble et des membres individuellement. On essaie de comprendre et de s’approprier le travail que le groupe aura à faire et, en parallèle, chacun essaie de se faire une idée de ses futurs partenaires. Elle se termine habituellement avec la baisse du stress inhérent à cette situation où plusieurs personnes se rencontrent pour une première fois. Avec ce relâchement apparaissent des manifestations de plaisir à travailler ensemble, et même parfois une certaine effervescence (blagues, rires, évaluations positives du groupe, premières apparitions de l’usage du « nous », etc). Ces diverses manifestations de contentement annoncent le passage à la phase suivante.

La deuxième phase commune aux différentes représentations de l’évolution d’un groupe de travail est appelée l’assaut (storming). Elle prend place lorsque les membres ont acquis une sécurité et une aisance suffisantes pour exprimer une opinion distincte ou leur désaccord sur certaines propositions. Les conflits surgissent habituellement à cette phase. 

Enfin, suit une phase de normalisation (norming) où les normes et règles se stabilisent. La résolution des désaccords conduit à une plus forte affiliation des membres et à une confiance en la capacité du groupe d’atteindre ses buts. On assiste à un meilleur partage des connaissances et à une convergence croissante entre les discours des membres à propos du groupe.

du modèle de Tuckman 

Le modèle de Tuckman d’origine (1965) comportait initialement les trois précédentes phases (la formation [forming], l’assaut [storming], normalisation [norming]) et une phase de production (performing). Auxquelles une cinquième phase d’ajournement (adjourning) a été ajoutée plus tard (Tuckman et Jensen, 1977). La phase de production correspond à une période plus calme où, les principales difficultés ayant été aplanies, les membres du groupe se concentrent sur le travail. La phase d’ajournement correspond à la dissolution du groupe à la suite de l’atteinte des objectifs ou encore à la fin du temps qu’il lui était alloué. 

du modèle de Wheelan

Le modèle de Wheelan se caractérise par une lecture de l’évolution du groupe centrée sur les interactions entre le·la leader formelle et les membres. Il comporte quatre phases ayant des similitudes avec le modèle de Tuckman. Analogiquement ses quatre phases de développement correspondent à l’enfance, l’adolescence, l’âge adulte et la maturité du groupe. 

La première phase, l’enfance, est une de pseudo-travail où se négocie surtout l’inclusion des membres en regard de la dépendance à la personne leader. La deuxième, l’adolescence du groupe, est une de réaction de contredépendance des membres face à la personne leader et par le désir de marquer leur indépendance. Les luttes et les désaccords surgissent et les conflits sur le travail ou la procédure prennent corps. Cette phase est suivie d’une période où s’établissent et se négocient les rôles et les procédures et où la confiance se développe. C’est l’âge adulte du groupe. Vient ensuite l’âge de la maturité, où l’énergie des membres est consacrée à l’accomplissement des tâches. 

du modèle de Bormann

Le modèle vise à rendre compte du passage d’une collection d’individus séparés à un groupe cohésif. Ce passage de la collection au groupe est expliqué par le développement de la convergence symbolique, c’est-à-dire d’histoires et de symboles partagés. Son élaboration se fait par la construction mutuelle de représentations du groupe, de son développement et de son environnement. Les membres construisent collectivement des récits donnant un sens aux événements, appelés « fantaisies ». 

Ces fantaisies se développent en cinq phases : l’émergence, la prise de conscience, le maintien et l’alimentation de l’histoire, le déclin de la puissance explicative et la fin de l’histoire. L’émergence se fait autour d’une situation encore sans explication acceptée par les individus. La prise de conscience se produit par les contributions de chacun·e à l’histoire en construction. Puis, lorsque l’explication commence à être partagée par un grand nombre, alors l’histoire réitérée et les réactions émotives sont partagées. Enfin, le partage de l’histoire et la cohésion du groupe déclinent et implosent lorsque la puissance explicative diminue ou ne correspond plus à la situation et que des discours alternatifs offrent un nouveau cadre explicatif.  

des modèles séquentiels cycliques

Les modèles séquentiels cycliques sont similaires aux modèles séquentiels progressifs constitués d’étapes ou phases que le groupe traverse au fur et mesure de son évolution. La différence est que les phases se répètent. Le cheminement du groupe n’est pas représenté comme une démarche linéaire, mais plutôt en cercle ou en spirale. Ces modèles veulent rendre compte que le cheminement des groupes est souvent fait de retours en arrière. Un nouveau membre arrive, un autre s’en va, et le groupe se voit revenir à une phase d’inclusion. Ou encore, après une période de calme relationnel et de productivité, le groupe voit émerger des conflits de rôles et doit revenir à une phase de négociation. En pratique, comme l’illustrent les précédents exemples, les modèles séquentiels progressifs sont adaptés aux cheminements cycliques des groupes. On y introduit les retours en arrière comme faisant partie du cheminement normal des groupes de travail.

Ils présentent aussi l’évolution des groupes comme une progression vers un meilleur fonctionnement. Ils sont aussi composés de phases qui se répètent. La différence est que cette progression est marquée par des retours aux étapes précédentes, souvent à répétitions, en cycle. 

du modèle de Schutz 

Le modèle de Schutz, arrimé aux besoins de relations interpersonnelles des membres, est l’un des premiers modèles à introduire l’idée d’un cheminement cyclique. Il est progressif dans un premier temps puis est suivi d’une régression qui ramène les membres aux premières phases du cheminement. Les trois premières phases : la phase d’inclusion, la phase de contrôle et la phase d’affection. Suit une phase terminale qui conduit à une reprise du travail d’inclusion des membres.

La phase d’inclusion répond au besoin d’être en relation et de faire partie d’une communauté. Chacun·e cherche à circonscrire la place qu’il·elle occupera dans le groupe.

La phase de contrôle correspond au besoin d’assurer sa place et ses relations. Les enjeux d’influence et de pouvoir sur les autres et sur le groupe apparaissent. 

La phase d’affection, aussi appelée phase d’acceptation ou d’ouverture, répond au besoin d’aimer et de se sentir aimé. Le groupe fait preuve de plus de maturité et d’une productivité accrue.

La phase terminale correspond à la période où les membres rompent leurs liens d’affection et cessent d’interagir les uns avec les autres. Phénomène qui peut conduire les individus dans une phase d’inclusion pour la création d’un nouveau groupe. 

du modèle de Worchel

Le modèle Worchel est parmi les plus connus des modèles cycliques. Il est centré sur le développement de l’affiliation au groupe et sa contribution à la construction identitaire des membres, notamment dans le cas du passage de la fin d’un groupe à la reconstitution d’un nouveau groupe.

Le modèle est composé de six phases, qui s’enchainent et se répètent en boucle : le mécontentement, l’événement précipitant, l’identification, la productivité du groupe, l’individuation et le déclin.

La phase de mécontentement est relative à l’appartenance à un précédent groupe ou à une situation actuelle. La formation d’un nouveau groupe se produit à la suite d’un événement précipitant. Cet événement peut prendre différentes formes : décisions malvenues, diminutions de budget, démission d’un autre membre de l’ancien groupe, ou encore d’événements extérieurs à l’ancien groupe : obtention d’un fonds, nouvelles politiques organisationnelles, nouvelles collaborations, etc. Il se met alors en place une relation « nous-eux » avec les autres groupes environnants. À cette étape, la pression sur les membres pour le respect des normes du groupe augmente. L’identité du groupe se précise et l’identification des membres au groupe augmente. Pour les membres, être membre de ce groupe contribue à leur propre identité et à les définir socialement. Par exemple, être membre d’un groupe de travail portant sur les inégalités de genres ou d’origines, peut contribuer à définir l’identité des personnes qui le constitue en tant que personne sensible à ces questions. Suit une période de productivité, où les objectifs poursuivis ont un sens pour les membres et où leur engagement est élevé. Avec le temps, en s’approchant de l’atteinte des objectifs de départ, on assiste à une phase d’individuation. Les membres reviennent à leurs préoccupations personnelles. Des insatisfactions surgissent, des sous-groupes d’intérêts se forment. Les individus diminuent leur implication. Le groupe décline. Un malaise apparait en même temps qu’une perte de confiance. Les luttes intestines augmentent. La crainte du rejet diminue. Puis un événement précipitant provoque alors la formation d’un nouveau groupe. Et le cycle reprend.

d’autres modèles séquentiels cycliques 

D’autres modèles séquentiels cycliques questionnent les modèles progressifs. Par exemple, le modèle de l’équilibre ponctué de Gersick, avance que les groupes de travail alternent entre des périodes d’inertie et de révolution. Le travail du groupe est ponctué par des périodes où l’activité du groupe est relativement stable et les avancées sont légères et des périodes où les changements de comportement sont intenses. Ces dernières périodes de révolution apparaissent plutôt vers la mi-temps de la période impartie au mandat du groupe. 

L’hypothèse explicative est que les membres prennent alors pleinement conscience des échéances. Avec cette hypothèse de l’impact du temps (des échéances) sur le cheminement du groupe de travail, il est un des premiers modèles à identifier un facteur explicatif à l’évolution du groupe. Il a ouvert la voie aux modèles factoriels qui suivront. 

D’autres modèles séquentiels cycliques reprennent cette proposition d’alternance entre deux phases. Par exemple le modèle de Marks propose une alternance entre des phases d’action et de planification. Ces phases s’enchainent en boucle au fur et à mesure que les sous-objectifs sont atteints. Le modèle de Konstantinos et Boziolenos suggère quant à lui une alternance entre des phases d’exploration et d’exploitation. La phase d’exploration correspond à des activités de découverte, d’expérimentation, de variation, etc. Tandis que la phase d’exploitation correspond à une période d’efficacité, d’exécution, de raffinement, de sélection, etc.

des limites des modèles séquentiels

La portée des modèles séquentiels est limitée du fait qu’ils sont issus d’observations faites auprès de groupes sans passé ni futur, dont les membres n’ont généralement jamais travaillé ensemble ni ne travailleront ensemble dans un futur prévisible. Il s’agit de groupes évoluant en vase clos et à durée déterminée (groupes thérapeutiques et groupes d’étudiantes et étudiants universitaires). 

Cette vision linéaire de l’évolution des groupes de travail est bouleversée dans le cas, beaucoup plus fréquent, des groupes sans durée prédéterminée, intégrés dans des environnements diversifiés où les appartenances à différentes équipes au sein desquelles les membres se connaissent parfois et n’ont pas toujours les mêmes rôles et, aussi, où la nature des tâches varie de même que les échéances et la pression environnementale.

Les modèles séquentiels négligent ainsi les impacts du contexte organisationnel, de la présence de liens avec l’environnement du groupe, des types de tâches et de l’influence du temps (échéances, durée, moments, etc.). De plus, les différentes phases ont des limites floues et demeurent indicatives. Les cheminements théoriques ne sont pas toujours observés. Des groupes peuvent s’attarder sur une étape sans nécessairement passer à la suivante. Certains atteignent la maturité sans franchir les étapes préalables.

Ils sont toutefois particulièrement pertinents pour interpréter et anticiper l’évolution de groupes nouvellement formés et à durée déterminée. Ils permettent aux membres et aux personnes intervenantes de raconter une bonne histoire qui donne un sens à ce qu’ils·elles ont vécu ou observé.

des modèles factoriels

Devant le constat que les modèles séquentiels étaient peu appropriés pour les groupes de travail en contexte organisationnel, des modèles factoriels ont commencé à être formulés à partir des années 1980. Comme le nom l’indique, ces modèles sont centrés sur les facteurs à considérer pour expliquer les changements dans le développement des groupes. On n’y retrouve pas de descriptions de phases, on cherche plutôt à identifier les facteurs qui influencent et expliquent l’évolution des groupes de travail. Le modèle de l’entrainement social et le modèle de la structuration sont parmi les plus connus. 

des facteurs temporels : le modèle de l’entrainement social

Le modèle de l’entrainement social, aussi appelé modèle de la synchronisation ou modèle de Kelly et McGrath, est basé sur des facteurs liés au temps qui affectent les processus de travail en groupe : l’allure, la durée, les échéances, le rythme, le tempo, etc. Avec le temps, ces facteurs obligent une coordination entre les membres et entre le groupe et l’organisation qui conduit à une synchronisation des différents processus. 

des facteurs contextuels : le modèle de la structuration

Le modèle de la structuration, aussi appelé modèle de Poole et DeSanctis, est basé sur l’adaptation des groupes de travail aux facteurs contextuels structurants. Les pratiques adaptatives que développe le groupe de travail constituent des structures de médiation des contraintes et opportunités organisationnelles, technologies, temporelles, etc. Au fil du temps, chaque groupe s’approprie, réagit et s’adapte de manière active et différemment, à ces contraintes et opportunités contextuelles en fonction de ses besoins et ressources. Chacun développe des pratiques particulières qui structurent le travail et le cheminement du groupe. 

de l’évolution du groupe et des processus

On considère aujourd’hui qu’il n’existe pas de modèle qui reflète la réalité et tous les aspects de tous les types de groupes. Le développement des groupes apparait comme un phénomène complexe affecté par les différents processus sollicités par son contexte, ses objectifs et ses raisons d’être. Cela dit, on peut dégager de grandes tendances et appliquer certains modèles à certaines situations, mais beaucoup de nuances sont toujours nécessaires. 

En conservant à l’esprit l’aspect enchevêtré des multiples phénomènes qui se produisent simultanément, quelques grandes étapes peuvent être dégagées. Certains événements pourront être considérés comme plus probables à un moment donné qu’à un autre. Analogiquement, anticiper le développement du groupe se compare à se livrer à des prédictions météorologiques. On peut prédire que ce sera plus froid en hiver, anticiper la température des prochains jours, estimer la probabilité de la couverture nuageuse, mais prédire le temps qu’il fera à un endroit précis à un moment précis demeure un défi. De même, l’état d’un groupe de travail à un moment précis reste difficile à prévoir.

Par exemple, on peut vraisemblablement anticiper qu’un groupe multidisciplinaire visant le partage de connaissance sollicitera davantage les processus de médiation et d’intelligence. De même, on peut anticiper que l’évolution d’un groupe visant la mise en place d’une structure de soutien et de rassemblement de victimes de harcèlement sollicitera davantage les processus d’affiliation et d’organisation. 

De même, malgré la complexité habituelle des phénomènes affectant les groupes, on peut raisonnablement supposer que les processus d’affiliation seront plus fortement sollicités dans les débuts de la vie d’un groupe de travail que lors des périodes de production intensive. Par contre, les processus liés à la production du groupe seront sollicités avec une plus grande force au fur et à mesure que les échéances se rapprocheront. De même, les processus liés à l’intelligence du groupe seront plus sollicités lors de périodes consacrées à la résolution de problème ou la prise de décision. Sur le plan de l’organisation, après l’assentiment à quelques règles de bases établies au départ, c’est la répétition des réactions positives et négatives aux différents comportements et suggestions des membres qui structurera les procédures, l’occupation de l’espace, les rituels, les normes et les rôles. Sur le plan de l’interinfluence, on peut s’attendre à ce que les tentatives d’influence soient toujours présentes en filigrane des autres processus de groupe. Par exemple, s’assoir au bout d’une table rectangulaire lors de la première rencontre est déjà un positionnement d’influence. De même, on peut s’attendre à ce que les processus de médiation soient présents tout au long de la vie du groupe, mais moins sollicitée dans les groupes homophiles où les membres partagent les mêmes caractéristiques sociodémographiques et professionnelles et plus présents dans les groupes hétérogènes.