de l’interinfluence entre les membres

Les phénomènes et processus d’interinfluence au sein des groupes de travail réfèrent aux interactions qui influencent les opinions, les réactions affectives ou les comportements des membres. On peut penser aux interventions argumentant en faveur de telle ou telle idée, ou visant à susciter une réaction émotive, ou un changement de comportement, etc.

Les processus d’interinfluence conduisent à l’émergence et à l’exercice du leadership de même qu’à l’émergence et la résolution des conflits au sein du groupe. 

de l’interinfluence comme raison d’être du groupe de travail.

L’attention portée aux phénomènes et processus d’interinfluence vient de pair avec l’idée que la principale raison d’être du travail en groupe est de s’influencer de façon à obtenir un résultat différent de celui de personnes travaillant isolément. Avec cet angle d’approche, le groupe de travail est vu comme un lieu de rencontre, de combinaison, de ralliement, d’affrontement, de négociation entre différents points de vue. On examine particulièrement l’émergence et les impacts du leadership et des conflits.

Les impacts positifs des interventions visant à faciliter les processus d’interinfluence confortent à leur tour la conception du groupe de travail comme lieu d’interinfluence entre les membres.

de l’influence et de l’interinfluence

Exercer de l’influence au sein d’un groupe de travail, c’est interagir avec les autres membres de manière à amener un changement dans ce qu’ils·elles pensent, disent, ressentent ou font à propos de quelque chose. 

L’interinfluence réfère à l’influence exercée par l’ensemble des membres sur l’ensemble des autres membres.

de deux hypothèses explicatives

Deux grandes hypothèses ont été avancées pour expliquer les bases de cette influence interpersonnelle : l’hypothèse de l’homophilie et l’hypothèse du contrôle de l’accès aux ressources.

de l’hypothèse de l’homophilie

L’homophilie correspond à la tendance à être se sentir plus proche et plus ouvert avec des personnes qui nous ressemblent sur le plan des caractéristiques sociodémographiques (âge, sexe, groupe ethnique, opinion politique, centres d’intérêt, etc).

Dans les groupes de travail, les caractéristiques, cognitives, affectives ou comportementales partagées avec certains membres peuvent susciter une plus grande ouverture à leurs propositions. Cette similitude constitue une toile de fond qui crée une ouverture aux propositions nouvelles. Les points communs doivent être fortement présents. Ainsi, on estime que les membres reconnus comme « influenceurs » utilisent environ 80 % de mots partagés par l’ensemble des membres et 20 % de mots nouveaux. Par exemple, on sera plus ouverts aux propositions de personnes partageant globalement nos idées, notre perception de la tâche, ou encore ceux qui aiment ou détestent les mêmes tâches ou procédures.

de l’hypothèse des ressources

L’hypothèse des ressources avance l’idée que l’influence repose sur le contrôle de ressources désirées.

Les ressources convoitées peuvent être matérielles ou intangibles de tous ordres. Il peut s’agir d’information, de savoir-faire, d’estime et de la reconnaissance de ses apports par les autres membres, etc.

Selon l’hypothèse des ressources, les membres contrôlant l’accès à certaines ressources nécessaires au travail du groupe ou encore certaines ressources désirées par certains membres sont ainsi en position de susciter un changement d’opinion ou de comportement chez les personnes. Par exemple, une membre dont l’expertise sur un sujet donné est jugée essentielle à l’atteinte des objectifs du groupe sera en position d’amener le groupe à tolérer ses retards ou à demander à certaines personnes de contribuer davantage à certaines tâches.Le statut externe d’une personne (son statut en dehors du groupe de travail, par exemple sa réputation, sa position au sein de l’organisation, son expérience, sa classe sociale, etc.) favorise l’exercice de son influence dans la mesure où les membres perçoivent qu’elle a accès à des ressources intéressantes. 

du leadership

Le leadership est un phénomène multiforme, complexe et difficile à cerner. Il en existe de très nombreuses définitions. On peut même dire qu’il y en a presque autant qu’il y a de chercheuses et chercheurs qui ont tenté de le définir !

Une première distinction à faire est que la notion de leadership dans les groupes de travail ne désigne pas le leadership formel d’une structure hiérarchique officielle (patron·ne, personne responsable, gestionnaire, etc.). Le leadership dans les groupes de travail réfère à l’influence exercée par un·e membre qui oriente l’action du groupe par le biais de la communication. 

Cette influence est contextuelle. Elle est fonction de l’homophilie des personnes et de leur apport en termes de ressources. Ainsi, une personne influente dans un groupe de travail ne le sera pas nécessairement dans un autre groupe. Une jeune membre influente dans son équipe de travail ne le sera pas nécessairement dans son unité syndicale ou dans une réunion de direction.

des approches contemporaines du leadership

Les approches contemporaines du leadership peuvent être regroupées en trois grandes catégories : les approches relationnelle, cognitive, et discursive. L’approche relationnelle tente d’expliquer les bases de l’influence exercée par un·e leader par les caractéristiques de la relation entre le·la leader et les membres qui en acceptent l’influence. L’approche cognitive examine le rôle des représentations partagées comme base de l’influence de la personne leader. L’approche discursive s’attarde aux caractéristiques du discours et des mots utilisés par le·la leader comme base de son influence.

de l’approche relationnelle

L’approche relationnelle se penche sur l’arrimage entre les caractéristiques de la personne en autorité (dont son comportement) et celles des personnes suiveuses. On parlera « d’adéquation » : les caractéristiques de l’une et des autres sont-elles suffisamment similaires pour favoriser l’émergence de la confiance et rendre la personne leader et ses comportements « attrayants » pour les personnes suiveuses.

L’explication apportée par le modèle du leadership transactionnel est centrée sur le rôle de la récompense et de la punition. Elle procède d’une vision économique du leadership où les partenaires cherchent à répondre à leurs besoins et intérêts. Par exemple les marques de reconnaissances, les bonus, les permissions spéciales seront fonction du travail accompli.

L’explication apportée par le modèle du leadership transformationnel repose sur la capacité motivationnelle de la personne en autorité. Avoir des comportements « transformationnels », c’est intervenir de telle sorte que les personnes soient plus motivées et engagées dans le travail. Par exemple, un patron interviendra pour souligner la qualité du travail, proposera des défis stimulants et atteignables.

L’explication apportée par l’analyse des réseaux de relations interpersonnelles repose sur la position occupée par la personne au sein du réseau de relations. La capacité d’influence d’une personne est associée à sa position dans le réseau, une position centrale favorisant la capacité d’influence. La position centrale est celle qu’occupe la personne qui a le plus grand nombre de liens avec tous les autres membres ou qui unit le plus grand nombre de personnes qui autrement ne seraient pas liées. En corolaire, les membres s’adressent à elle plus fréquemment qu’aux autres membres. Par exemple, les membres auront tendance à s’adresser à la personne qui interagit avec le plus grand nombre de membres et veille au maintien des liens entre les membres qui autrement se parlent peu ou pas. 

de l’approche cognitive

L’approche cognitive tente de mettre en lumière l’impact des représentations partagées sur la capacité d’une personne à orienter l’action d’un groupe. Elle examine les aspects implicites et occultes du leadership.

Sur le plan relationnel, entre les membres et le·la leader, l’explication apportée par cette approche avance que les membres d’un groupe sont influencés par les personnes qui correspondent à leur représentation de ce qu’est une personne leader. Plus une personne possède les caractéristiques qu’un membre croit être celles d’une personne leader, plus il ou elle acceptera d’être influencé par elle.

Au niveau du groupe, plus l’identité du groupe est définie, c’est-à-dire plus son entativité est forte, plus les membres accepteront que l’action du groupe soit orientée par un·e membre prototypique, c’est-à-dire une personne possédant les principales caractéristiques de ce que serait le ou la membre idéal du point de vue des membres.

Au niveau individuel, la perception de soi comme leader (ou non) influence la perception que les autres ont de soi comme personne pouvant (ou non) orienter l’action du groupe. Autrement dit, les membres se laisseront moins influencer par une personne qui ne se perçoit pas elle-même comme capable d’orienter l’action du groupe.

de l’approche discursive

L’approche discursive tente d’expliquer le leadership à partir des pratiques langagières des membres. Elle montre en quoi l’influence exercée par une personne leader est liée aux discours et aux mots qu’elle mobilise. 

En regard du discours, le·la leader est la personne qui sait raconter la bonne histoire, c’est-à-dire celle qui donne un sens approprié à la situation et offre un cadre pour orienter l’action. L’histoire ainsi racontée exprime une représentation de la réalité qui réduit la complexité du contexte social et informationnel. Elle offre une explication accessible aux membres. 

En ce qui a trait aux mots utilisés, l’examen des réseaux sociosémantiques, c’est-à-dire des réseaux de relations qui prennent en compte le contenu, montre que les membres reconnus comme influents ont un discours qui ressemble à l’ensemble du discours des autres membres, tout en utilisant une proportion non négligeable des mots différents. Autrement dit, le·la leader doit avoir un discours assez semblable à celui des autres (80 % de similitude environ) pour être perçu comme « faisant partie du groupe » et assez différent pour comporter quelque chose de nouveau.

des caractéristiques des personnes qui exercent un leadership

Après plusieurs décennies de recherche, on peut affirmer qu’il n’y a pas de lien simple entre la personne leader et ses attributs personnels. L’idée de naître leader est un mythe. Il n’y a pas non plus de style spécifique d’interactions propre à la personne leader. Les recettes du type, faite ceci ou cela et vous serez leader, ne tiennent pas la route. Il s’agit d’une voie de recherche abandonnée.

Toutefois, on peut affirmer sans trop de risques que les personnes qui exercent un leadership au sein de leur groupe de travail :

• ont un répertoire de stratégies de communication plus vaste et complexe que celui des autres membres (affirmation, écoute, questionnement, nuances, parler fort ou doucement, etc.) ;

• font preuve d’autorégulation (self-monitoring). Ils·elles sont attentives à leurs propres comportements et à leurs impacts sur les autres membres;

• les leaders (gestionnaires) utilisent plus de mots à connotation émotionnelle ;

• les membres d’un groupe de travail sont plus ouverts à l’influence des personnes avec qui ils·elles ont des d’échanges affectifs

des conflits

Les conflits sont issus des différences de souhaits ou de désirs perçus comme incompatibles par les personnes impliquées. Dans les groupes de travail, les conflits peuvent être relatifs à la tâche, aux relations entre des membres du groupe ou aux procédures. Toutefois, les répercussions des conflits quels qu’ils soient se reflètent sur le travail de groupe. Ainsi, un conflit relationnel aura des répercussions sur l’accomplissement de tâche ou sur le suivi des procédures. De plus, chaque conflit comporte des aspects affectifs, cognitifs et spatiotemporels.

des conflits liés à la tâche

Les conflits liés à tâche sont issus des différences de souhaits ou de désirs incompatibles quant au travail à faire : différences de perception des objectifs à atteindre, évaluations différentes du travail accompli, répartition des tâches, etc.

Si la présence de conflits liés à la tâche rend plus difficile l’atteinte de consensus, ils peuvent avoir plusieurs effets positifs si les échanges, même passionnés et vifs, demeurent respectueux des personnes. Ils améliorent la qualité des prises de décisions. Ils préviennent l’apparition de la pensée groupale. Ils ont un effet positif sur la qualité de la production et la créativité du groupe par la prise en compte d’idées différentes.

des conflits liés aux relations

Les conflits liés aux relations sont principalement issus des différences de souhaits ou de désirs incompatibles à propos d’éléments externes et non liés directement au travail en groupe :  activités extérieures de certains membres, opinions politiques, valeurs, comportements etc. 

Les conflits relationnels ont surtout des impacts négatifs au sein des groupes de travail. Ils affectent négativement l’affiliation au groupe  et conduisent à une baisse de la satisfaction et de l’implication des membres et à une baisse de la coopération. Les effets négatifs sont particulièrement marqués lorsque les conflits s’inscrivent dans une approche binaire (pour-contre; vrai-faux) créant ainsi une division au sein du groupe. Ils affectent ainsi l’intelligence du groupe  en introduisant un biais d’appartenance.

des conflits liés aux procédures

Les conflits liés aux procédures se rapportent à des différences de souhaits ou de désirs incompatibles à propos de la manière d’accomplir les tâches et du fonctionnement du groupe en général (qui fait quoi, quand, où et comment, la répartition des responsabilités, des privilèges et des ressources).

Moins d’études ont porté sur ce type de conflits. On sait toutefois qu’ils peuvent avoir un impact positif sur l’amélioration des procédures et des décisions lorsque le niveau de conflit est faible et qu’ils sont rapidement résolus. À l’inverse, lorsque le niveau de conflit est élevé et qu’ils ne sont pas rapidement résolus, leurs effets sont négatifs, notamment sur la satisfaction des membres.

de la répartition des conflits dans le temps

Les effets des conflits varient selon le moment dans la vie du groupe. Dans les groupes de travail qui réussissent bien les conflits 

  • liés à la tâche sont faibles au début et à la fin, mais élevés à la mi-temps (voir la section sur les phases de l’évolution du groupe de travail). Au début, les membres s’entendent sur les objectifs généraux, les remises en question apparaissent plus tard vers la mi-temps de la durée anticipée alors que le groupe peut encore modifier son plan de travail.
  • de procédures sont modérés au début et à la fin et faible à la mi-temps. Après les nécessaires ajustements du début, les procédures prennent forme et s’ancrent dans les pratiques de travail.
  • relationnels sont faibles en tout temps.

des stratégies de résolution des conflits

Les stratégies de résolution des conflits déployés dans les groupes de travail peuvent être organisées selon qu’elles s’adressent ou non à l’ensemble des membres et selon qu’elles cherchent à prévenir ou à régler un conflit déjà manifeste.

Les stratégies préventives s’adressant à tout le monde entrainent une plus grande satisfaction des membres et une meilleure performance du groupe. Elles sont centrées sur l’équité et cherchent à éviter l’apparition des conflits. À l’opposé, les stratégies immédiates visant à régler le conflit en intervenant auprès d’un·e membre en particulier entrainent de l’insatisfaction chez les membres et une baisse de la productivité du groupe. Entre ces deux positions, les stratégies déployées de manière réactive face à un conflit déjà présent, mais qui s’adressent au groupe (plutôt qu’à une ou quelque personnes) permettent de maintenir la performance du groupe mais suscitent de l’insatisfaction chez les membres. Enfin, les stratégies préventives visant les individus plutôt que le groupe en tant qu’entité entrainent une satisfaction élevée et une performance faible (voir tableau ci-après).

Tableau tiré de Behfar et al. (2008) – traduction libre